Ethique et communication
Un enseignement d’éthique par la simulation en petits groupes de 10 étudiants de M1 (4eme année) a été mis en place depuis deux ans à la Faculté de Médecine de Nice. Le rôle des patients est tenu par des étudiants de théâtre de la Faculté des Arts. Les séances sont animées par des membres du Département d’Éthique qui assurent le débriefing des jeux de rôle. Il s’agit avant tout d’un débriefing réflexif : permettre aux acteurs de mettre des mots sur ce qu’ils ont ressentis, faire émerger dans le groupe des remarques, des voies de dégagement par rapport à la situation jouée dans le scénario.
Cette année le scénario était celui d’un patient refusant l’amputation pour artérite avec sur le plan thérapeutique aucune alternative à l’amputation .
Lors d’une séance une étudiante volontaire jouant le rôle du médecin a affirmé à l’animateur que d’emblée elle acceptait son refus d’amputation, selon le principe du respect du droit du malade.
L’animateur, médecin chevronné, a considéré que c’était une erreur et lui en a fait la remarque. Elle a alors reconsidéré ce qu’elle allait dire au patient.
Il se pose ici une question éthique et une question pédagogique. Et au-delà cela peut nous interroger aussi sur les profils de praticien parmi les étudiants.
Sur le plan éthique ce qui peut apparaitre c’est que dans ce cas le médecin pose a priori, sans avoir parlé au patient, son consentement à un refus de soin au nom de la liberté et de l’autonomie du malade. Le médecin qui animait la séance et qui l’a analysé après coup écrit : « « L’a priori » du médecin est de communiquer au patient l’information la plus juste possible, à plus forte raison si dans son for intérieur il a une conviction liée à sa connaissance du problème qui s’avère ne pas être celle du malade. C’est son devoir donner le juste soin. »
Dans la Loi Léonetti, qui est basée sur le respect du droit du patient, en 3eme situation clinique évoquée, il y a « Le malade conscient et non en fin de vie qui refuse les soins ». Le médecin animateur commente : « Ce qui est proposé n’est pas du tout d’accepter ce refus de soins à priori, mais de tout faire pour lui expliquer que les soins vont lui apporter un plus , en rassemblant des arguments, en lui laissant une période de réflexion , et si nécessaire en faisant appel à un autre médecin pour argumenter dans le même sens. Et ce n’est qu’une fois que ces démarches ont échoué que l’on se plie à la volonté du patient et qu’on l’accompagne dans son choix. »
A la fin de la séance l’étudiante à la demande de l’animateur si elle avait toujours le même avis qu’en rentrant a répondu sans hésiter devant tous que non. Elle a estimé que cette position était beaucoup plus respectueuse du patient.
L’animateur de la séance conclut son propos : « Il n’y a pas d’ingérence dans le droit du malade, c’est au contraire un nécessaire éclairage et le partage d’une connaissance « scientifique » (qui n’est pas une certitude, cela va de soi) qu’il n’a pas, pour lui permettre de prendre sa décision finale, qu’il sera seul à prendre, en toute connaissance de cause. »
La position éthique est claire. Pour le médecin il s’agit d’informer loyalement le patient, l’éclairer dans son choix, respecter son autonomie, accepter que son choix soit contraire à son opinion ou sa conviction.
L’analyse de cette séance mérite cependant de se poser quelques questions.
L’étudiante voulait-elle laisser à son choix premier un patient qui ne souhaitait pas être amputé mais après cependant lui avoir exposé les risques encourus ? Est-ce qu’elle voulait valider le choix du patient sans discussion ou ne souhaitait elle pas plutôt ne pas chercher à le convaincre ?
Ces questions amènent à aborder deux points essentiels dans la formation à l’éthique, ceux de l’empathie et de la communication.
Des conflits opposent les équipes médicales et les patients avec les patients ou leur famille. On remarque c’est que le plus souvent des médecins animés des meilleures intentions, d’une excellente formation « clinique » et dotés d’une solide expérience qui font régulièrement face à ces difficultés.
De l’animosité, une froideur manifeste, une agressivité teintée de violence traversent certains échanges. Parfois on a l’impression que le patient ou sa famille se rendent au « souhait » du praticien car il a finalement baissé les armes mais qu’ils n’adhèrent pas au discours et qu’ils n’ont pas été convaincus par ses arguments. Ils ont finalement abandonné la partie ce qui laisse entrevoir des difficultés dans la compliance au traitement (… on estime qu’au moins 50 % des patients chroniques ne sont pas compliants ). Au bout du compte si le praticien peut estimer avoir sauvé le patient il en ressort insatisfait car l’alliance thérapeutique fait défaut. Le risque est qu’au cours du temps ce qui est une ingérence dans la vie du patient au prétexte de le soigner ne se renforce pour exclure pratiquement son point de vue.
Le problème réside pour une part certainement dans une méconnaissance des techniques de communication chez les étudiants en médecine. Tachons de le démontrer.
Dès son 1er stage l’étudiant est traversé par des sentiments forts… timidité face au patient plus âgé que lui, inquiétude par rapport à ses connaissances et son absence de compétences techniques, idéalisation de ses maitres, sidération devant la mort ou la situation de catastrophe etc… Plus les années passent plus la plupart des étudiants vont s’appuyer sur leurs connaissances « médicales » pour s’adresser au patient à l’instar de pas mal de médecins seniors – il y a là un curriculum caché – , leur permettant ainsi de se déprendre de leurs émotions avec pour corollaire de « s’enfoncer » dans la technicité, s’intéressant assez peu pour beaucoup aux sciences humaines. Des études montrent dans ce sens une capacité d’empathie s’effondrant chez les étudiants en médecine entre la 2eme et la 6eme année. C’est un mécanisme de défense classique dit de rationalisation face à l’angoisse, mécanisme inconscient il va de soi .
Incapable de repérer les émotions qui le traversent, de les nommer et les élaborer puisqu’il ne l’a pas appris, le jeune étudiant va devenir incapable de repérer les sentiments chez son patient. La théorie des neurones miroirs peut éclairer ce phénomène. Ils joueraient de fait un rôle dans la cognition sociale, notamment dans l’apprentissage par imitation, mais aussi dans les processus affectifs, tels que l’empathie. Il est important de souligner avec le philosophe Pierre le Coz la place centrale des émotions pour développer des capacités éthiques, c’est-à-dire d’être capable de respecter le patient .
Un paradoxe surprenant peut même être observé durant ces séances de simulation : ceux qui sont les plus directifs sont parmi les plus empathiques.
A partir de ces deux critères on pourrait dégager 4 catégories d’étudiants :
Empathique Pas Empathique
Communiquant A B
Pas Communiquant C D
A : très adaptés ils sont appréciés des patients et des soignants. Ils ont une distance professionnelle qui leur assure de ne pas être embarqués dans la relation avec le patient ou sa famille. Un nombre non négligeable d’entre eux ont connu semble-t-il de près la maladie pour eux même ou leurs proches et ont été bien accompagnés.
C : Deux catégories. Ceux qui fusionnent avec le patient ( c’est le mécanisme inconscient d’identification projective pour dégager l’angoisse suscité par la relation chargé d’émotion avec le patient). Ils se noient dans leurs sentiments et sont souvent de piètres cliniciens.
Et ceux qui sous prétexte de vouloir le bien du patient ne l’écoutent pas (le temps moyen de parole accordé à un patient avant qu’il ne soit interrompu par le spécialiste consulté est de 23 secondes ). C’est la catégorie largement majoritaire évoquée ci-dessus. C’est celle certainement qui a la plus grande marge de progression et qui peut bénéficier de ces formations à la communication.
B : Ils ont compris les stratégies pour que le patient soit satisfait. Ils déclinent l’information au patient sans affect marqué et terminent en le laissant à son choix sans que le résultat les affecte. Caricaturalement c’est le docteur Knock.
C : Pour le dire avec humour ils choisissent majoritairement des spécialités qui les tiendront le plus possible éloigné du contact avec le patient
Quel enseignement pertinent proposer alors à ces étudiants ?
La solution peut résider en partie dans ces dispositifs d’apprentissages par le biais de simulation et dans leur contenu didactique.
Ce contenu est précisément l’attitude éthique faite de capacité d’analyse, d’esprit critique, de réflexivité, cette compétence qui fait qu’en situation on est capable d’écoute, d’émotion, de discernement. Tout cela s’exprime dans les orientations que nous avons donné aux étudiants pour les aider à débriefer .
La communication n’est pas ici un outil secondaire.
Une des idées force est de se concentrer sur la première minute de « l’entretien à forte charge clinique ». Idéalement pluri professionnel et préparé à l’avance par un briefing. Accueil, regard dans les yeux, décliner son identité et sa fonction, serrer la main, s’asseoir, poser une question ouverte (qu’est ce vous avez compris ? Je vous écoute… etc…), ne pas interrompre la patient, explorer son motif réel de consultation, ses représentations de la pathologie, de la situation, ses inquiétudes au sujet de cette pathologie (perte autonomie, conséquence esthétique, incidence sur ses proches…) le retentissement émotionnel et le contexte en résumé, et enfin reformuler ces informations. A l’hôpital les autres professionnels présents (IDE essentiellement, mais aussi cadre, Assistante sociale, aide-soignante, psychologue etc… invités à participer en fonction des circonstances) interviennent brièvement mais efficacement. Ainsi les préoccupations sociales, psychologiques, spirituelles sont orientées vers des professionnels adéquats, du moins une proposition en est faite. Au terme de cet exercice de communication réussie, le patient se sent écouté. Le temps de cet exercice varie sensiblement en fonction de la situation et de la charge émotionnelle mais il n’est pas non plus un puits sans fond. L’alliance thérapeutique est nouée, l’entretien diagnostique, d’annonce, etc… peut commencer. Le patient s’est senti (émotion) écouté, il est prêt à tout entendre. Ou presque. Le praticien peut lui donner les arguments qui militent en faveur de tel ou tel choix thérapeutique qui lui semble le plus adapté, cette insistance ne sera pas vécue comme une ingérence mais comme une suite de cette bienveillance qu’il a cru percevoir au début de l’entretien.
Ceux qui ne sont pas empathique et pas communiquant peuvent en bénéficier et faire que leurs interventions auprès des patients soient mieux vécues par tous.
Pour revenir au cas de cette étudiante face à la question de l’amputation, dans la logique de la classification en catégories A B C D, cette jeune femme pourrait relever selon l’animateur du profil B ou D.
La question est d’ordre éthique. L’objectif est de lui faire prendre conscience de la nécessaire conviction clinique et du danger d’une trop grande neutralité.
Mais la question est aussi d’ordre pédagogique. En simulation les enseignants cherchent surtout à comprendre les processus de pensée des étudiants et s’attachent secondairement aux attitudes, aux comportements, aux paroles.
Ce qui semble plus formateur est de laisser jouer l’étudiant à partir de ce qu’il a imaginé puis dans le débriefing de l’interroger sur son jeu. S’il est allé au bout de sa logique de neutralité on va l’interroger sur ses représentations mentales au sujet de son rôle propre, on va investiguer chez le patient ce que cette attitude a engendré et de fait on peut alors éclairer l’étudiant à partir de la loi Léonetti.
Peut-être aussi qu’à l’origine il voulait valider le choix du patient mais que des éléments dans l’entretien l’ont détourné de cet objectif. Là encore on va chercher à comprendre le processus, les émotions en particulier qui l’ont traversé.
Au final l’enseignement d’éthique dispensé à ces jeunes étudiants s’oriente vers un préalable essentiel, celui de savoir communiquer efficacement. Deuxièmement il vise à développer la sensibilité éthique en rendant sensible l’étudiant aux émotions du patient et à ses propres émotions. Enfin il a pour objectif de mettre en place chez les individus et dans les collectifs de travail une réflexivité qui permet d’interroger l’agir au quotidien pour le rattacher toujours à la question du sens.
Annexe1 : Monsieur L., 71 ans
Adressé pour plaie du pied droit.
En fait, il s’agit d’une cellulite à point de départ sur un mal perforant plantaire.
Le patient a de très lourds antécédents :
– vasculaires : – insuffisance coronarienne, ayant bénéficié d’angioplastie
– artérite des membres inférieurs : plusieurs angioplasties, et amputation d’orteils au pied gauche
– HTA
– respiratoires : – tabagisme sevré
– emphysème pulmonaire
– syndrome d’apnée obstructive du sommeil appareillée
– néoplasiques : cancer de la vessie, traité par cystectomie avec urétérostomie bilatérale.
Les clichés mettent en évidence une atteinte osseuse.
Le chirurgien vasculaire recommande une amputation.
Le patient refuse toute amputation. Il ne veut plus d’intervention. Il s’estime très diminué et souhaite rentrer mourir sans souffrir chez lui. Le psychiatre consulté confirme une dépression réactionnelle justifiant un traitement ambulatoire. Le patient est tout à fait capable de discernement.
Ses enfants insistent pour que Monsieur L. accepte les soins hospitaliers.
La prise en charge dans le service a consisté en :
– soins locaux
– antibiothérapie parentérale (mais relayable per os)
– morphine par voie orale
– anti dépresseur type ISRS
– adaptation et poursuite du traitement personnel
Thème : discussion entre médecins (interne + senior) et Monsieur L. et sa famille (1 enfant) sur la pertinence de la poursuite des soins hospitaliers.
Documents disponibles : clichés osseux montrant l’atteinte osseuse.
Annexe 2 : Débriefing
Servez-vous des questions pour aborder ce qui vous a semblé intéressant ou surprenant dans cette séance de simulation. Lisez ces questions avant le début de l’exercice. Il s’agira de débriefer à la fois le jeu de rôle mais aussi sa mise en place au sein du groupe. Pour cela observer vous vous-même ainsi que les autres participants.
1. Quelles émotions, quels sentiments avez-vous éprouvés pendant le jeu de rôle?
2. Comment s’est passé la première minute de l’entretien : position des acteurs, 1eres paroles prononcées, première question ?
3. Quels ont été comportements et les paroles qui vous ont marqué ? Par exemple le regard, le silence, les questions ouvertes, l’interruption du discours de l’interlocuteur, la reformulation des propos…
4. Quel était votre objectif dans l’entretien? Avez-vous le sentiment qu’il a été atteint ?
5. Vous êtes-vous senti écouté ? Entendu ?
6. Entre professionnels de santé y a-t-il le sentiment d’avoir œuvré ensemble ? Pourquoi ?
7. Une tension s’est-elle dissipée ? a-t-elle persisté ? a-t-elle vue le jour ? Pourquoi d’après vous ?
8. Que pourriez-vous faire de manière différente la prochaine fois ?
9. Dans l’activité réelle: Quels parallèles pouvez-vous faire avec le travail quotidien?